Que serait 007 sans son célèbre homologue américain Félix Leiter?
En vérité, beaucoup puisque l'espion de la CIA n'est présent que dans 9 volets officiels (sur 23 et bientôt 24 actuellement) et 2 volets officieux (sur 7 actuellement). Si l'on pousse plus loin la réflexion, rien car en l'absence de Leiter, 007 reçoit l'aide de son remplaçant Jack Wade (Joe Don Baker, présent dans Goldeneye et Demain ne meurt jamais) ou René Mathis (interprété par plusieurs acteurs Duncan Macrae et Giancarlo Giannini).
Félix Leiter est un personnage protéiforme, campé par pas moins de 6 interprètes différents dans la saga officielle et 2 acteurs dans la saga officieuse.
1) 1962 -2006
Dans le Dr No, Leiter apparaît pour la première fois dans la saga officielle. Il est alors campé par Jack Lord, célèbre pour Steeve Garett, le héros policier de Hawaï, police d'état. Il est alors un personnage sceptique, railleur et cynique. C'est un homme mature, élégant et plein de charme. Une sorte d' Horatio Crane avant l'heure.Il ne revient qu'en 1964 dans Goldfinger mais est incarné par Cec Linder que l'on peut retrouver par exemple dans le rôle du trouble Paul Baker de l'épisode "COMPLEX" de Chapeau melon et bottes de cuir. Il est alors plus sage et plus vieux. Il est plus plaisant et souriant et son cynisme est plus dilué.
Il revient l'année suivante mais joué par un nouvel interprète Rik Van Nutter, moins connu étant donné qu'il joue principalement en Italie et en Chine. Il est connu pour son rôle titre dans le western Joe l'implacable ou sa participation à Woo-fook, un autre film du réalisateur d'Opération tonnerre, volet dans lequel il joue Leiter. Il se rapproche physiquement de Jack Lord mais psychologiquement, c'est un homme discret et sévère.
On déplore néanmoins un bémol pour son Leiter qui se veut anonyme en costard sur une plage au milieu d'une population de baigneurs et baigneuses en maillots.
Il est ensuite absent jusqu'en 1971 où Les diamants sont éternels le remet en scène. C'est à nouveau un nouvel interprète, Norman Burton qui a notamment joué dans l'épisode 12 de la saison 2 de Kojak face à Telly Savalas, l'un des Blofeld de la saga 007. Félix a pris de l'embonpoint et semble plus colérique. Son cynisme est plus ambigu, ce qui complexifie la frontière entre humour et mauvaise humeur.
Deux ans plus tard, dans Vivre et laisser mourir, un nouvel interprète intervient à son tour dans le rôle de Leiter. Il s'agit de David Hedison, un fidèle de Roger Moore qui l'accompagne dans Le Saint ou encore Les Loups de hautes mers. C'est aussi le premier à camper deux fois Félix Leiter dans Vivre et laisser mourir et Permis de tuer. Ses deux interprétations sont pourtant séparées de huit volets pendant lesquels Leiter n'intervient qu'une fois et campé par un autre acteur. S'il garde un peu de l'embonpoint de son prédecesseur, il se caractérise par une bonne humeur indestructible qui n'empêche cependant ni le cynisme ni les sarcasmes.
C'est à son sujet que Bond fait un jeu de mots dans Vivre et laisser mourir, confronté à un allume-cigare talkie-walkie. Il s'agit du jeu de mots pris pour le titre de cet article dans une scène dont l'illustration initiale est extraite.
Dans Permis de tuer, Hedison est de retour. Mais un an auparavant l'agent de la CIA est campé par John Terry que l'on connait en général pour son bref rôle dans Full Metal Jacket ou dans le rôle de Christian Shepard, le père de l'un des héros principaux de la série LOST. Félix est alors un personnage bien moins cynique et très flegmatique qui envisage les choses avec un calme toujours olympien.
Permis de tuer en 1989 marque la fin du parcours de Leiter dans l'Ancien Bond de la saga officielle. Il devient quasi-cul-de-jatte, se faisant dévorer les jambes par des requins.Son retour effectif se fera dans le Nouveau Bond avec Casino Royal en 2006.
2) 2006 à aujourd'hui
Changeant, Leiter est longtemps resté un homme blanc. En 1954, joué par Michael Pate sous le nom de Letter, il est blanc pour le premier volet de ce qui est devenu le Parabond.
Mais dès 1983, le Parabond remet en question cette nature du personnage en le faisant apparaître noir dans Jamais plus jamais. Il est joué par un Bernie Casey dont l'une des répliques est volontairement polémique: il dit de Largo, le méchant du film interprété par K.M.Brandauer, qu'il est "blanc comme neige". La comparaison peut surprendre un spectateur déjà surpris par la mutation épidermique de Félix Leiter.
Dès lors, le personnage servira la cause de ce que Césaire a voulu nommé la négritude. L'un des remplaçant éventuel de Leiter est Charles Robinson, chef de la sécurité du MI6, véritable 007 d'ébène campé par l'élégant Colin Salmon qu'on a pu également voir dans le premier opus de Resident Evil. Il entre dans la saga en 1998 dans Demain ne meurt jamais et en sort en 2003 avec la fin de Meurs un autre jour. Reviendra-t-il un jour?
Nul besoin semble-t-il puisque Félix Leiter fait son come-back et son become-black dans Casino Royale où Jeffrey Wright, qui a joué rien de moins que le titan du jazz noir Sydney Bachet dans le Young Indiana Jones, l'incarne à son tour. Wright est d'ailleurs souvent présent aux côtés de Daniel Craig comme Hedison l'était de Moore. Il est donc un parfait nouveau Leiter, en noir. Leiter noir tranche d'avec celui du Parabond qui était farceur et mutin. Celui de Wright est bien plus aigri, cynique et rejoint en bien plus sombre la prestation de son aîné Jack Lord.
Félix Leiter est par conséquent un superbe révélateur du changement de place des hommes et femmes de couleur dans l'économie de l'univers de James Bond. Accompagné du pêcheur Quarell campé par John Kitzmiller) et du barman et dresseur de crocodiles Pussfeller dans Dr No, il l'est ensuite du fils de Quarell dans Vivre et laisser mourir puis de Sharky, un autre pêcheur noir dans Permis de tuer. Dans le Dr No, trois faux aveugles noirs traquent 007 et sont représentés dans la chanson initiale Jamaïcan calypso par trois chats noirs.
Dans Vivre et laisser mourir, où il est toujours blanc, il est secondé par deux agents noirs de la CIA, Rosie Carver et Harold Strutter. Ce volet est très important en ce qui concerne la place de la négritude dans James Bond mais a plus sa place dans une réflexion sur Bond et la Blaxploitation.
La population noire évolue socialement autour de Leiter et de Bond: Rosie Carver appelle May Day (Grace Jones). Exception est faite bien entendu de Martine Beswik et Halle Berry au tein plus clair et donc plus rapidement accepté à l'image par un public chauvin.
En 2006 et 2008, Leiter devient lui-même noir et - s'il est absent de Skyfall - entraîne avec lui la métamorphose de Miss Moneypenny, incarnée depuis Skyfall par Naomie Harris,jusqu'ici connue pour Tia, la sorcière noire de Pirates des Caraïbes.
De là l'expectative d'Idriss Elba, acteur noir britannique dans le rôle de 007 lui-même! Ce qui semble problématique, Bond ne changeant que très peu pour un nombre d'incarnation presque égal à celui de Leiter. Des rumeurs parleraient d'un énième reboot pour faire naître James Bond en Jamaïque et créer ainsi un pseudo-retour aux sources. Retour contestable puisque la source initiale de Bond serait bien plus Paris où se déroule le premier roman de Ian Flemming. En revanche, on pourrait espérer un retour de Chrales Robinson, rôle qui conviendrait bien mieux au dit Elba.
Félix Leiter change donc de peau, de personnalité et souvent d'interprète. Ce qui permet de répondre à une problématique de la saga lancée depuis peu par Sam Mendès. Cette problématique vise à concevoir 007 comme un seigneur du temps de Gallifrey, du même acabit que le Docteur Who mais aussi discret que le Manhunter de Mars. Mais Bond change peu. Le seigneur du temps caché dans l'univers de 007 ne serait-il pas plutôt le lumineux Félix Leiter?
Félix Leiter est donc un personnage crucial de l'univers de 007, avec ses problématiques et ses changements, que j'espère avoir bien présenté dans cet article.
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